Lettre ouverte – Paul Lupien – Président de la COPHAN (Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec) –
Le monde entier célèbre, le 3 décembre, la Journée internationale des personnes handicapées. Il s’agit d’une occasion de reconnaître la diversité des capacités humaines et de sensibiliser l’ensemble de la population aux enjeux auxquels les personnes en situation de handicap (PSH) font face.
Mais en toute franchise, c’est la seule journée de l’année où nous sommes véritablement visibles.
Au Québec, près de 16% de la population âgée de 15 ans et plus a des limitations fonctionnelles ou des handicaps. On parle de plus d’un million de personnes. Ça fait pas mal de monde ignoré 364 jours par année et vous en connaissez assurément quelques-uns.
Les clientèles qui bénéficient des services et de l’expertise des quelque 50 organismes membres de la COPHAN et du milieu associatif dans son ensemble souffrent de surdité, sont non voyantes, sont en fauteuil roulant à cause de diverses maladies ou malformations congénitales comme le spina bifida ou souffrent des répercussions de l’augmentation de la pollution. D’autres encore sont neurovariantes, c’est-à-dire que leur fonctionnement cérébral diffère de la norme, incluant des conditions comme l’autisme, le TDAH, la dyslexie, et j’en passe.
Des citoyens et des citoyennes de seconde zone
Vous trouvez que la qualité du transport collectif laisse à désirer? Nous sommes souvent incapables de sortir de chez nous parce que la disponibilité du transport adapté est faible, voire inexistante, dans certaines régions. Vous pestez contre le réseau de la santé? Imaginez quels obstacles les PSH doivent surmonter pour bénéficier des soins auxquels elles ont droit. Vous trouvez qu’étudier coûte cher? Étudier quand on est une personne handicapée est un parcours semé d’embûches et la majorité d’entre elles abandonnent avant d’obtenir leur diplôme. L’état des trottoirs et des rues vous irrite? Prenez quelques heures pour marcher aux côtés d’une personne non voyante ou en fauteuil roulant sur des trottoirs défoncés et vous comprendrez. Les femmes ont du mal à briser le plafond de verre? La majorité, voire l’entièreté des milieux décisionnels importants, est complètement fermée aux gens en situation de handicap. Sans compter le fait que le marché du travail, supposément en pénurie de main-d’œuvre, n’est pas particulièrement accueillant pour nous.
Je pourrais aussi vous parler des clauses de la loi de la RRQ qui sont discriminatoires à l’égard des personnes en situation d’invalidité, ce que le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a d’ailleurs reconnu. À 65 ans, des dizaines de milliers de PSH voient leurs rentes d’invalidité coupées de 24%. Et plutôt que d’accepter le jugement du TAQ, le gouvernement a choisi de porter la cause en appel.
En gros, nous avons trop souvent le sentiment d’être des citoyens et des citoyennes de seconde zone.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner que le financement de la COPHAN a été haussé de moins de 1% cette année. Pendant ce temps, le gouvernement du Québec donne plusieurs millions de dollars aux Kings de Los Angeles pour les inciter à venir passer quelques jours à Québec. Je peux vous assurer que cet argent aurait été autrement plus utile à la collectivité si c’était le milieu associatif qui en avait bénéficié.
Certes, on constate des progrès, notamment en matière de représentation des PSH à diverses tables de concertation et comités gouvernementaux, mais reste à savoir si nos recommandations seront véritablement mises en application. Nous attendons d’ailleurs toujours de savoir si nous siégerons à Santé Québec.
De plus en plus de personnes en situation de handicap
La pollution, les problèmes musculosquelettiques, notamment, feront très bientôt exploser le nombre de personnes handicapées ou ayant des limitations fonctionnelles au Québec, au Canada et en Occident.
La société n’a pas le luxe de nous laisser derrière, de se passer de notre expertise expérientielle. Nous devons être au cœur de toutes les activités de la société. Nous avons le droit d’aller à l’école sans entrave. D’utiliser les transports collectifs sans s’inquiéter de pouvoir y accéder, ou non. De fonder des familles. De travailler et de nous enrichir. De gérer des entreprises. De participer à la vie politique et, pourquoi pas, de diriger notre province et notre pays. Mais en ce moment, tout ça est difficilement accessible pour nous.
Au final, aura-t-on collectivement et individuellement le courage, la détermination et l’audace de faciliter notre présence et de nous faire la place à laquelle nous avons droit dans la société?